Secours de français

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Les Caractères - La Bruyère

Extrait n°5 : Les Hommes

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    Tels hommes passent une longue vie à se défendre des uns et à nuire aux autres, 
    et ils meurent consumés de vieillesse, après avoir causé autant de maux qu’ils 
    en ont souffert.
    Il faut des saisies de terre et des enlèvements de meubles, des prisons et des 
5   supplices, je l’avoue; mais justice, lois et besoins à part, ce m’est une 
    chose toujours nouvelle de contempler avec quelle férocité les hommes traitent 
    d’autres hommes.
    L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par 
    la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils
10  fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une 
    voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face 
    humaine, et en effet ils sont des hommes; ils se retirent la nuit dans des
    tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines ; ils épargnent aux 
    autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et 
    méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé.
15  La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, sont plus capables d’un grand
    effort que d’une longue persévérance: leur paresse ou leur inconstance leur
    fait perdre le fruit des meilleurs commencements; ils se laissent souvent 
    devancer par d’autres qui sont partis après eux, et qui marchent lentement, 
    mais constamment.
20  J’ose presque assurer que les hommes savent encore mieux prendre des mesures 
    que les suivre, résoudre ce qu’il faut faire et ce qu’il faut dire que de faire 
    où de dire ce qu’il faut : on se propose fermement, dans une affaire qu’on 
    négocie, de taire une certaine chose, et ensuite ou par passion, ou par une 
    intempérance de langue, ou dans la chaleur de l’entretien, c’est la première qui
    échappe.
25  Les hommes agissent mollement dans les choses qui sont de leur devoir, pendant 
    qu’ils se font un mérite, ou plutôt une vanité de s’empresser pour celles qui 
    leur sont étrangères, et qui ne conviennent ni à leur état ni à leur caractère.

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©Jean-Marie PETIT - HomeSweetHome - 04/2022