Secours de français

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Les Caractères - La Bruyère

Extrait n°3 : Les Enfants

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     Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux, curieux, intéressés, paresseux, 
    volages, timides, intempérants, menteurs, dissimulés ; ils rient et pleurent facilement ; 
    ils ont des joies immodérées et des afflictions amères sur de très petits sujets ; ils ne 
    veulent point souffrir de mal, et aiment à en faire : ils sont déjà des hommes.
5    Les enfants n’ont ni passé ni avenir, et, ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du 
    présent.
     Le caractère de l’enfance paraît unique ; les mœurs, dans cet âge, sont assez les mêmes, 
    et ce n’est qu’avec une curieuse attention qu’on en pénètre la différence ; elle augmente 
    avec la raison, parce qu’avec celle-ci croissent les passions et les vices, qui seuls 
10  rendent les hommes si dissemblables entre eux, et si contraires à eux-mêmes.  
     [...]
     Il n’y a nuls vices extérieurs et nuls défauts du corps qui ne soient aperçus par les 
    enfants : ils les saisissent d’une première vue, et ils savent les exprimer par des mots 
    convenables ; on ne nomme point plus heureusement : devenus hommes, il sont chargés à leur 
    tour de toutes les imperfections dont ils se sont moqués.
15   L’unique soin des enfants est de trouver l’endroit faible de leurs maîtres, comme de tous 
    ceux à qui ils sont soumis : dès qu’ils ont pu les entamer, ils gagnent le dessus, et pren-
    nent sur eux un ascendant qu’ils ne perdent plus. Ce qui nous fait déchoir une première 
    fois de cette supériorité à leur égard est toujours ce qui nous empêche de la recouvrer.
     La paresse, l’indolence et l’oisiveté, vices si naturels aux enfants, disparaissent dans 
20  leurs jeux, où ils sont vifs, appliqués, exacts, amoureux des règles et de la symétrie, 
    où ils ne se pardonnent nulle faute les uns aux autres, et recommencent eux-mêmes plusieurs
    fois une seule chose qu’ils ont manquée : présages certains qu’ils pourront un jour 
    négliger leurs devoirs, mais qu’ils n’oublieront rien pour leurs plaisirs.
     Aux enfants tout paraît grand, les cours, les jardins, les édifices, les meubles, 
25  les hommes, les animaux : aux hommes les choses du monde paraissent ainsi, et j’ose dire 
    par la même raison, parce qu’ils sont petits.

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©Jean-Marie PETIT - HomeSweetHome - 04/2022