Secours de français

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Voyage au centre de la Terre - Jules Verne

Extrait n°9, chapitre 44 (XLIV) : Les volcans

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        Le talus du volcan offrait des pentes très-roides ; nous glissions dans de véritables 
    fondrières de cendres, évitant les ruisseaux de lave qui s’allongeaient comme des serpents 
    de feu. Tout en descendant, je causais avec volubilité, car mon imagination était trop 
    remplie pour ne point s’en aller en paroles. « Nous sommes en Asie, m’écriais-je, sur les 
05  côtes de l’Inde, dans les îles Malaises, en pleine Océanie ! Nous avons traversé la moitié 
    du globe pour aboutir aux antipodes de l’Europe.
    — Mais la boussole ? répondait mon oncle.        
    — Oui ! la boussole ! disais-je d’un air embarrassé. À l’en croire, nous avons toujours 
    marché au nord.        
10  — Elle a donc menti ?        
    — Oh ! menti !        
    — À moins que ceci ne soit le pôle nord !        
    — Le pôle ! non ; mais… »        
        Il y avait là un fait inexplicable. Je ne savais qu’imaginer.        
15      Cependant nous nous rapprochions de cette verdure qui faisait plaisir à voir. La 
    faim me tourmentait et la soif aussi. Heureusement, après deux heures de marche, une 
    jolie campagne s’offrit à nos regards, entièrement couverte d’oliviers, de grenadiers et 
    de vignes qui avaient l’air d’appartenir à tout le monde. D’ailleurs, dans notre dénûment, 
    nous n’étions point gens à y regarder de si près. Quelle jouissance ce fut de presser ces 
20  fruits savoureux sur nos lèvres et de mordre à pleines grappes dans ces vignes vermeilles ! 
    Non loin, dans l’herbe, à l’ombre délicieuse des arbres, je découvris une source d’eau 
    fraîche, où notre figure et nos mains se plongèrent voluptueusement.        
        Pendant que chacun s’abandonnait ainsi à toutes les douceurs du repos, un enfant 
    apparut entre deux touffes d’oliviers.        
    « Ah ! m’écriai-je, un habitant de cette heureuse contrée ! »        
25      C’était une espèce de petit pauvre, très misérablement vêtu, assez souffreteux, 
    et que notre aspect parut effrayer beaucoup ; en effet, demi-nus, avec nos barbes 
    incultes, nous avions fort mauvaise mine, et, à moins que ce pays ne fût un pays de 
    voleurs, nous étions faits de manière à effrayer ses habitants.        
        Au moment où le gamin allait prendre la fuite, Hans courut après lui et le ramena, 
    malgré ses cris et ses coups de pied.        
30      Mon oncle commença par le rassurer de son mieux et lui dit en bon allemand :
    « Quel est le nom de cette montagne, mon petit ami ? »
    L’enfant ne répondit pas.
    « Bon, dit mon oncle, nous ne sommes point en Allemagne. »
    Et il refit la même demande en anglais.
35  L’enfant ne répondit pas davantage. J’étais très intrigué.
    « Est-il donc muet ? » s’écria le professeur, qui, très fier de son polyglottisme, 
    recommença la même demande en français.
    Même silence de l’enfant.
    « Alors essayons de l’italien », reprit mon oncle, et il dit en cette langue :
40  « Dove noi siamo ?
    — Oui ! où sommes-nous ? » répétai-je avec impatience.
    L’enfant de ne point répondre.
    « Ah çà ! parleras-tu ? s’écria mon oncle, que la colère commençait à gagner, et qui 
    secoua l’enfant par les oreilles. Come si noma questa isola ?
    — Stromboli, » répondit le petit pâtre, qui s’échappa des mains de Hans et gagna 
45  la plaine à travers les oliviers.
        Nous ne pensions guère à lui ! Le Stromboli ! Quel effet produisit sur mon 
    imagination ce nom inattendu ! Nous étions en pleine Méditerranée, au milieu de 
    l’archipel éolien de mythologique mémoire, dans l’ancienne Strongyle, où Éole tenait 
    à la chaîne les vents et les tempêtes. Et ces montagnes bleues qui s’arrondissaient 
    au levant, c’étaient les montagnes de la Calabre ! 
50  Et ce volcan dressé à l’horizon du sud, l’Etna, le farouche Etna lui-même.
    « Stromboli ! Stromboli ! » répétai-je.
        Mon oncle m’accompagnait de ses gestes et de ses paroles. Nous avions l’air de 
    chanter un chœur !
        Ah ! quel voyage ! quel merveilleux voyage ! Entrés par un volcan, nous étions sortis
55  par un autre, et cet autre était situé à plus de douze cents lieues du Sneffels, de cet 
    aride pays de l’Islande jeté aux confins du monde ! Les hasards de cette expédition nous 
    avaient transportés au sein des plus harmonieuses contrées de la terre. 
        Nous avions abandonné la région des neiges éternelles pour celles de la verdure 
    infinie et laissé au-dessus de nos têtes le brouillard grisâtre des zones glacées pour 
60  revenir au ciel azuré de la Sicile !
        Après un délicieux repas composé de fruits et d’eau fraîche, nous nous remîmes 
    en route pour gagner le port de Stromboli. Dire comment nous étions arrivés dans l’île 
    ne nous parut pas prudent ; l’esprit superstitieux des Italiens n’eût pas manqué de voir 
    en nous des démons vomis du sein des enfers ; il fallut donc se résigner à passer pour 
65  d’humbles naufragés. C’était moins glorieux, mais plus sûr. 

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©Jean-Marie PETIT - HomeSweetHome - 04/2022