Angélique : Ah ! quelle surprise agréable ! Mon père, puisque, par un bonheur extrême, le ciel vous redonne à mes vœux, souffrez qu’ici je me jette à vos pieds, pour vous supplier d’une chose. Si vous n’êtes pas favorable au penchant de mon cœur, si vous me refusez Cléante pour époux, je vous conjure au moins de ne me point forcer d’en épouser un autre. C’est toute la grace que je vous demande.
Cléante, se jetant aux genoux d’Argan : Hé ! monsieur, laissez-vous toucher à ses prières et aux miennes ; et ne vous montrez point contraire aux mutuels empressements d’une si belle inclination.
Béralde : Mon frère, pouvez-vous tenir là contre ?
Toinette : Monsieur, serez-vous insensible à tant d’amour ?
Argan : Qu’il se fasse médecin, je consens au mariage. (À Cléante.) Oui, faites-vous médecin, je vous donne ma fille.
Cléante : Très volontiers, monsieur. S’il ne tient qu’à cela pour être votre gendre, je me ferai médecin, apothicaire même, si vous voulez. Ce n’est pas une affaire que cela, et je ferais bien d’autres choses pour obtenir la belle Angélique.
Béralde : Mais, mon frère, il me vient une pensée. Faites-vous médecin vous-même. La commodité sera encore plus grande, d’avoir en vous tout ce qu’il vous faut.
Toinette : Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt ; et il n’y a point de maladie si osée que de se jouer à la personne d’un médecin.
Argan : Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi. Est-ce que je suis en âge d’étudier ?
Béralde : Bon, étudier ! Vous êtes assez savant ; et il y en a beaucoup parmi eux qui ne sont pas plus habiles que vous.
Argan : Mais il faut savoir bien parler latin, connaître les maladies, et les remèdes qu’il y faut faire.
Béralde : En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela ; et vous serez après plus habile que vous ne voudrez.
Argan : Quoi ! l’on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là ?
Béralde : Oui. L’on n’a qu’à parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison.
Toinette : Tenez, monsieur, quand il n’y aurait que votre barbe, c’est déjà beaucoup ; et la barbe fait plus de la moitié d’un médecin.
Cléante : En tout cas, je suis prêt à tout.
Béralde, à Argan : Voulez-vous que l’affaire se fasse tout à l’heure ?
Argan : Comment, tout à l’heure ?
Béralde : Oui, et dans votre maison.
Argan : Dans ma maison ?
Béralde : Oui. Je connais une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l’heure en faire la cérémonie dans votre salle. Cela ne vous coûtera rien.
Argan : Mais moi, que dire ? que répondre ?
Béralde : On vous instruira en deux mots, et l’on vous donnera par écrit ce que vous devez dire. Allez-vous-en vous mettre en habit décent. Je vais les envoyer querir.
Argan : Allons, voyons cela.
Scène XXIII
BÉRALDE, ANGÉLIQUE, CLÉANTE, TOINETTE.
Cléante : Que voulez-vous dire ? et qu’entendez-vous avec cette Faculté de vos amies ?